Pour la présidente du Syndicat Révolutionnaire de la Magistrature, plus rien n’allait depuis quelques mois. Pourtant, au lendemain de la victoire de Laslande, pour lequel son syndicat avait appelé à voter, tout paraissait baigner dans l’huile. En récompense, nombre de ses mandants siégeaient au cabinet de Christine Bitora et la politique défendue par le syndicat y était appliquée. Fin des peines planchers, fin des tribunaux d’exception pour mineurs, refus de construction de nouvelles prisons, les premiers messages avaient été clairs.
Mais la machine avait paru s’enrayer suite au scandale qu’on appela « Le Mur des Cons ». Tout le monde connaissait l’histoire. Un journaliste de droite avait filmé, avec son portable, une série de portraits de réactionnaires, qui figurait dans une salle de réunions. Un autre site de droite avait relayé le film et la machine médiatique, emmenée par la fachosphère, s’était emballée. Les syndicats de journalistes, solidaires, avaient défendu le SRM et chargé leur confrère indélicat. La ministre avait même dû faire semblant de les condamner, pour apaiser la vindicte. Mais rien n’y faisait. Les sites d’extrême droite continuaient de se déchaîner contre les libertés démocratiques. Un ancien journaliste, fondateur de Reportage international, osa, sur le site Avenue Voltaire, s’en prendre avec virulence aux magistrats de son syndicat.
Il fallait oser, ils l’ont fait. Le Syndicat Révolutionnaire de la Magistrature ne recule devant rien. Montrés du doigt et poursuivis en justice pour leur « mur des cons », nos magistrats sont passés à la contre-attaque. Après avoir fait le dos rond pendant 48 heures, ils dénoncent maintenant (lisez avec attention) « une violation de [leur] sphère syndicale », s’interrogent sur « un journaliste qui filme en cachette l’intérieur d’un local syndical à l’insu de ses occupants », s’en prennent au site Atlantico, qui a révélé l’affaire, « proche de la droite la plus dure » !
Et de continuer dans le même registre en se posant, cette fois, en… victime : «En plus de 40 années de combats pour les droits des magistrats et les libertés publiques, le Syndicat Révolutionnaire de la magistrature a dû faire face à de multiples visant à l’empêcher de s’exprimer. Vous venez [Christine Bitora] de vous inscrire dans cette longue tradition, nous le regrettons vivement ».
La ministre de la Justice a, il est vrai, après quelques tergiversations, dénoncé « un acte insupportable, stupide et malsain » : de quoi provoquer l’ire d’un syndicat qui se vit comme chez lui place Vendôme… On en reste estomaqué ! Voilà des magistrats qui se comportent de façon indigne — n’hésitant pas à afficher sur leur « mur des cons » la photo de Philippe S., le père d’Anne-Lorraine, assassinée de 34 coups de couteau dans le RER D par un récidiviste —, voilà des syndicalistes qui devraient dorénavant raser les murs des prétoires ; et non, ils pérorent, attaquent, dressent des réquisitoires.
De quoi s’inquiéter, vraiment. Nous risquons donc, devant un tribunal, de nous retrouver face à de pareils personnages, arrogants, menaçants, d’un sectarisme à toute épreuve ! Croire à la justice va demander des efforts. Respecter la chose jugée va exiger de prendre sur soi.
On ne peut en rester là. Le Syndicat Révolutionnaire de la Magistrature ne s’est pas seulement déshonoré dans cette affaire. Il a montré, à ceux qui l’ignoraient ou ne voulaient pas le voir, son vrai visage. Sûr de lui, méprisant à l’égard des victimes — « On voit à travers de tels actes le mépris et la haine que ces magistrats éprouvent pour des familles comme nous », écrit, fort justement, Philippe S. —, enfermé dans ses certitudes, aveugle aux autres.
C’est de loin ce qui est le plus grave avec ce « mur des cons ». Le Syndicat de la magistrature devra s’en expliquer devant la justice. Il se trouvera, j’en suis sûr, des juges pour le condamner. Et montrer ainsi qu’ils ont une autre conception de leur métier et de la justice.
P.S. Un grand bravo à nos confrères qui, à l’image de Laberration, enquêtent pour débusquer celui ou celle qui aurait filmé le fameux mur. Voilà un travail d’investigation qui les honore. Ou plutôt de délation.
Et cela n’arrêtait plus. Dès qu’une racaille était relâchée, on accusait le magistrat d’être membre du syndicat qu’elle présidait. Les Français, manipulés par une campagne d’opinion réactionnaire, paraissaient ne pas vouloir comprendre que seules des raisons sociales et une grande souffrance, transformaient de paisibles citoyens en brutes, voire parfois en assassins. Ils réclamaient de plus en plus de répression, et ne voulaient plus entendre parler de prévention. Les magistrats se voyaient menacés, recevaient des lettres d’injures et la police ne paraissait pas mettre un grand entrain à trouver les coupables.
La mort accidentelle de Christine Bitora fut ressentie comme une véritable catastrophe par France Martel et tous les syndiqués. Ils craignaient que le Président de la République, peu réputé pour son courage, ne change son fusil d’épaule et ne choisisse un nouveau Garde des Sceaux beaucoup plus sévère, ce qui remettrait en cause toutes les thèses défendues jusqu’à ce jour… et le nombre de conseillers (quarante-cinq), détachés, membre de son syndicat, qu’elle avait su négocier avec la ministre réunionnaise.
Elle pensait à tout cela quand elle démarra sa voiture. Ce soir, elle ne rentrerait pas directement dans sa superbe demeure, dans l’ouest parisien, qu’elle partageait avec son mari, lui-même président de la célèbre 17e chambre correctionnelle parisienne, et héritier d’une des plus grosses fortunes de France.
Présidente du tribunal pour mineurs de Bobigny, elle avait la chance de ne jamais côtoyer, en dehors des palais de justice, les jeunes personnes qui, quotidiennement, lui étaient présentées. Certes, certains pouvaient avoir commis des actes extrêmement violents et elle ne manquait jamais de leur faire prendre conscience de la gravité de leur délit, puis de les admonester sévèrement, avant de les remettre en liberté. Certes, il lui était arrivé de ne pas envoyer au dépôt des multirécidivistes violeurs, mais c’est parce qu’elle était convaincue que la prison n’était pas la solution et, qu’au contraire, ces malheureux en ressortiraient pires qu’avant.
Il lui arrivait d’être troublée parfois, quand un jeune qu’elle avait relâché agressait un innocent, voire parfois violentait une malheureuse, ou assassinait une personne âgée. Mais elle chassait rapidement le doute. Chacun avait droit à sa chance, et était-on certain, en outre, que les victimes n’avaient pas provoqué leur agresseur, sans s’en rendre compte ?
Par contre, elle était sans pitié quand des Français sans aucun problème social se permettaient, arguant d’une prétendue légitime défense, de sortir leur fusil, et de tirer sur des cambrioleurs. Si chacun se mettait à faire sa propre justice, ce serait le far-west ! Pas de cela en démocratie, on n’était pas aux Etats-Unis. Systématiquement, elle les envoyait au dépôt dès la fin de l’interrogatoire pour dissuader d’autres beaufs racistes de faire de même.
Elle s’était changée après sa journée de travail, au tribunal, pour ne pas avoir à repasser chez elle. Elle suivait l’actualité avec inquiétude et avait appris les graves événements qui s’étaient déroulés à l’ Assemblée nationale. Elle regrettait de ne pas pouvoir écouter le ministre de Intérieur, invité au journal de 20 heures de Putalas. Mais elle avait des obligations. Elle s’était habillée en robe de soirée, devant se rendre en compagnie de Charles-Edouard, son époux, à un cocktail organisé à cinq kilomètres de chez elle, par Gaétan Mourgue d’Algues et son épouse.
Lui était PDG des pétroles Tatol, tandis que Bernadette, sa femme, présidait l’association « La route des Roms », qui militait pour la régularisation des réfugiés de l’Est et leur droit de vote. Il fallait se montrer à cette soirée, il y aurait sans doute des gens intéressants à rencontrer.
Elle pensait à plein de choses, en allant à cette soirée, France Martel. Mais sa voiture, une 604 dernier cri, que son mari lui avait offerte pour son anniversaire, commença à montrer des signes inquiétants. Le moteur se mit à tousser, le véhicule à hoqueter. Inquiète, France regarda la jauge, le plein avait été fait la veille. Elle ne connaissait rien en mécanique, mais ne put s’empêcher de se dire que, décidément, c’était la poisse qui continuait. La voiture avançait de plus en plus lentement, pour finalement ‘immobiliser, en plein milieu d’une forêt, à moins de deux kilomètres de sa destination. Elle tenta, avec son portable, de prévenir son mari mais ce dernier ne répondit pas. Elle était résignée à finir la route à pied, avec ses petits talons et sa robe de soirée. C’est alors, pour sa plus grande chance, pensa-t-elle, qu’une voiture approcha.
Larbi, jeune délinquant désagréablement connu des services de police, avait reçu un mystérieux coup de fil, une heure auparavant. Une voix qu’il ne connaissait pas lui indiquait un bon plan. Une bourgeoise qui tapinait, dans une forêt voisine et était pleine d’oseille. Incrédule, dans un premier temps, il avait malgré tout appelé ses deux meilleurs potes, Marcel et Ali, des fois que…
Finalement, le tuyau paraissait bon, puisqu’ils venaient d’apercevoir une meuf d’environ 45 ans, habillée en bourgeoise, à côté d’une superbe voiture. Ils ralentirent et s’arrêtèrent à sa hauteur. Larbi prit son air le plus rassurant et lui demanda : « Peut-on faire quelque chose pour vous, Madame ? ». France Martel était incapable d’expliquer les raisons de son angoisse. Mais elle découvrit qu’elle avait peur, alors qu’elle avait affaire à trois sympathiques jeunes garçons qui voulaient lui rendre service. Le même profil que ceux qu’elle remettait régulièrement en liberté. Il fallait qu’elle se reprenne. Mais incapable de maîtriser son angoisse, elle ne put que murmurer, toute tremblante : « Non ça va, j’attends un ami, merci, merci vraiment, c’est gentil ».
Marcel changea alors de ton. « Dis donc, tu serai pas un peu raciste, toi, la bourge ? Tu veux pas monter avec nous, dis ? Tu crois que tous mes potes arabes violent les blanches comme toi, c’est ça, dis… ».
Affolée, sentant que la situation lui échappait, France lui expliqua que bien sûr que non, elle n’était pas raciste. Toute tremblante, elle commit la grosse erreur de dévoiler sa profession, et de dire qu’elle remettait en liberté plein de personnes comme eux, qu’elle était leur amie…
Cela déchaîna la colère d’Ali qui venait de faire 4 mois de prison, pour son dix-huitième délit, pour avoir massacré une face de craie, à quatre contre un, pour lui voler son téléphone portable. Il avait eu la malchance d’être arrêté quelques minutes après, alors que ses amis avaient pu s’enfuir.
« Une juge, ça alors, tu vas payer, connasse, pour l’enculé qui m’a envoyé au trou. » Les jambes de France se dérobèrent. Elle était tétanisée, incapable de crier ni d’esquisser la moindre tentative de fuite. Larbi descendit de sa voiture décapotable, ouvrit la porte arrière, et, empoignant la magistrate par les bretelles de sa robe, tira dessus brutalement, déchirant tout le haut du bustier, dévoilant une poitrine généreuse. Il fit signe à ses deux amis de monter à l’arrière, leur livra France, en la poussant brutalement, et prit un petit chemin qui s’enfonçait dans la forêt.
Charles-Edouard Martel, inquiet, constatant que son épouse avait cherché à le joindre, signala, à 20 heures, sa disparition à la police. Le commissaire appela le ministère pour savoir quelle attitude adopter. On lui demanda de garder le silence et de refuser toute communication. Les recherches commencèrent immédiatement, de nuit, vue l’importance de la disparue et le climat politique ambiant.
On ne la retrouva qu’au petit matin, entièrement nue, bâillonnée, attachée à un arbre, à une centaine de mètres de sa voiture, le corps marqué par d’affreuses traces de violences et de tortures. La malheureuse, traumatisée, tenait des propos totalement incohérents et n’arrêtait pas de pousser des hurlements terrifiants. Les spécialistes qui l’examinèrent aussitôt firent connaître leur pessimisme quant à un possible rétablissement mental.
Chapitre 11 du livre Opération Pédalo, de Paul Le Poulpe, éditions Riposte Laïque.
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