Encore une fois, le Front national va réussir à être au centre de l’actualité. En ce lundi, les instances du parti doivent recevoir Jean-Marie Le Pen, convoqué suite à de multiples déclarations ressenties comme des provocations par la direction du FN, notamment sur le détail ou sur Pétain.
N’étant pas membre du Front national, je ne peux qu’affirmer que la décision appartient à ses instances, et qu’elle sera respectable. Pour autant, les sujets traités méritent d’approfondir une réflexion quant aux règles qui doivent régir un parti politique, concernant le droit des minorités.
LE COUP DU CENTRALISME DEMOCRATIQUE
Les communistes ont inventé le terme centralisme démocratique. Cela consistait, à la veille de chaque congrès, à dire aux militants qu’ils pouvaient s’exprimer librement dans leurs cellules, mais qu’une fois que le congrès avait tranché, ils n’avaient qu’un droit : fermer leur gueule. Et comme le congrès était précédé de nombreux filtres, à l’arrivée, le camarade secrétaire général se retrouvait élu à 99 % des voix. Ses amis pouvaient donc s’abriter derrière une prétendue légitimité démocratique pour museler toute opposition interne et la déclarer illégale.
Dans les faits, toutes les organisations politiques ont, de tout temps, été confrontées à des cohabitations internes difficiles. Les opposants minoritaires ont toujours dû godiller pour réussir à s’exprimer, à aller le plus loin possible dans l’expression d’une contestation de la ligne officielle, tout en veillant à ne pas franchir le Rubicon, ni à donner la possibilité à la direction de les virer. Cela a été, de tout temps, un exercice d’équilibre difficile, où la langue de bois et l’hypocrisie étaient de rigueur.
Entre la position très centraliste, et fort peu démocratique, du PCF des grandes années staliniennes, et l’auberge espagnole constituée par les Verts, où c’est le foutoir permanent, chacun a essayé de gérer ces contradictions quotidiennes au mieux.
Le Parti socialiste a réussi à faire cohabiter, des dizaines d’années durant, l’aile libérale, incarnée par Strauss-Kahn-Delors-Rocard, et l’aile trotskisante de Dray-Mélenchon. Et comme les gauchistes avaient des élus, ils faisaient semblant de croire à la belle histoire du légitime combat pour gauchiser un PS social-libéral.
Le RPR, puis l’UMP, ont réussi à faire cohabiter des personnes aussi différentes que des Gaullistes historiques de type Seguin et des atlantistes patentés de type Sarkozy. Ils ont réussi à faire travailler ensemble des partisans de la vraie droite (Buisson) et des partisans de l’alliance au centre (Juppé).
Reconnaissons à Jean-Marie Le Pen le génie d’avoir réussi, en 1972, à fédérer nombre de composantes aux programmes inconciliables, à qui il donnait, à l’intérieur du FN, un espace qui leur permettait de développer leur spécificité. En gros, chacun faisait ce qu’il voulait, l’essentiel est qu’ils soient au FN, et amènent des militants. Et comme personne n’envisageait de prendre le pouvoir, cela pouvait marcher.
JEAN-MARIE OBSTACLE A LA DEDIABOLISATION
Dans le bras-de-fer, qui ressemble de plus en plus à une guerre, entre Marine et son père Jean-Marie, il y a deux aspects. Le politique, et le côté humain. Il est toujours difficile, encore plus dans des mouvances fortement marquées par le culte du Chef, à celui-ci de s’effacer complètement. Jean-Marie Le Pen remplacé par Marine, ce n’est pas Chirac remplacé par Sarkozy, ni Mitterrand remplacé par Jospin. Il incarne à lui seul le FN, et son histoire, pour le meilleur, et parfois pour le pire.
Alors que dans les entreprises, les fils Lagardère, Bouygues, Riboud et autres héritiers de capitaines d’industrie n’ont aucun problème pour prendre la place du père, pour Marine c’est bien plus difficile au sein du FN. Elle est issue d’une autre époque, Vichy et la guerre d’Algérie, ce n’est pas son histoire. Elle doit remplacer un homme, son père, qui a été l’objet, pendant des décennies, de toute la haine du système, et a, parfois, répondu aux intimidations par la provocation, pour le plus grand bonheur de ses ennemis. Il est déjà difficile à un jeune président de remplacer un ancien qui a laissé une empreinte énorme sur le parti, que dire quand il s’agit de son père ?
Il y a, dans cette affaire, forcément une double souffrance. Celle d’un père qui a légué son parti à sa fille, et ne se retrouve plus dans la nouvelle ligne. Et celle d’une fille qui doit faire face à l’omniprésence et aux multiples pieds de nez d’un père dont elle ne comprend pas la stratégie, nuisible à ses yeux.
Nul ne peut nier l’apport de Marine dans la progression spectaculaire du FN, mais nul ne peut renier l’héritage de son père.
En interne, entre son conseiller spécial, que certains appellent son âme damnée, Florian Philippot, et la vieille garde, incarnée par Bruno Gollnisch, il luit faut également assumer des arbitrages qui évitent que la famille se déchire et explose.
Le 1er mai a marqué le paroxysme de l’affrontement, même si ces imbéciles de Femen ont permis, pour quelques jours, de le minorer.
JEAN-MARIE, C’EST JEAN-MARIE
Aucun président de mouvement ne peut admettre, au moment où il se prépare à tenir un discours officiel, de voir un membre de son parti, sans son accord, monter les escaliers de la tribune, et se faire ovationner par le public. Il en va de son autorité. Mais, alors que personne n’aurait compris cela d’un Bruno Gollnisch, d’un Florian Philippot, d’un Bruno Mégret hier, quand le président d’honneur du FN, sans doute avec des complicités internes, a monté les marches du podium, tout le monde a pensé que tout cela se faisait dans le consensus général. Spontanément le public (bien trop maigre) a scandé « Jean-Marie, Jean-Marie », comme tous les ans, où, sur la tribune, « Le Vieux » a droit à un hommage particulier « Merci Jean-Marie, merci ». Même les 56 nouveaux élus départementaux, spontanément, se sont levés et ont scandé le prénom du président d’honneur.
Autrement dit, c’est compliqué, et le Vieux n’est pas n’importe qui. Donc, il est difficile de le traiter comme n’importe qui, comme l’exige Florian Philippot, qui n’a tout de même que moins de cinq années passées au FN, ce qui est léger pour exiger de virer celui qui en incarne l’Histoire.
LIBERTE D’EXPRESSION ET DROIT A LA DIFFERENCE
Il demeure la vraie question de fond. Comment préserver la liberté d’expression du président d’honneur du Front national, sans que ses propos ne puissent impliquer un FN qui refuse de devoir, en permanence, se retrouver en situation défensive pour se justifier. Cette question est incontournable, et même Bruno Gollnisch, proche de Jean-Marie Le Pen, ne l’occultait pas sur le plateau de BFM-TV. Au sein du FN cohabitent des pro-palestiniens et des défenseurs de l’Etat d’Israël. Des partisans du mariage homo, qui n’osent l’avouer officiellement, et des opposants radicaux à cette loi. Des libéraux et des étatistes. Des partisans d’un rassemblement des droites, et les adeptes du « Ni droite ni gauche ». Des islamophobes, et des défenseurs de Maxence Buttey. Ils se retrouvent sur l’essentiel, la défense de notre pays, de notre civilisation, de notre peuple, de notre mode de vie, mais ils peuvent avoir des différences, y compris sur des sujets tabous que Jean-Marie Le Pen se plait à mettre au premier plan.
Marion Maréchal Le Pen et Florian Philippot incarnent chacun une vision différente, qui peut cohabiter à l’intérieur d’un même parti. Jean-Marie Le Pen, plus proche de sa petite-fille que du conseiller spécial de sa fille, peut-il demeurer président d’honneur du FN, conserver sa liberté d’expression, et ne pas impliquer son parti quand il fait des déclarations qui font le miel des médias, des adversaires politiques du FN, et mettent le parti en difficulté ? Le parti doit-il épurer, pour se renforcer, et faut-il sacrifier Jean-Marie, en l’excluant comme une Anne-Sophie Leclère (ce qui ne fut pas glorieux), pour préserver l’image du parti.
PRESERVER L’UNITE DU FN, C’EST GARDER LE VIEUX
Il suffit de regarder les difficultés qu’a éprouvées Jean-Marie Le Pen pour monter les marches du podium de l’Opéra, pour comprendre qu’il n’est pas éternel. Il suffit d’avoir entendu l’ovation que lui ont réservé les militants pour admettre qu’il est incontournable, et que l’exclure, ce serait provoquer une cassure à l’intérieur du mouvement. Cela serait-il salutaire ? Oui, dit Philippot, non disent de nombreux militants qui savent intuitivement qu’on ne construit pas l’avenir d’un mouvement en s’essuyant les pieds sur son passé. Le FN, c’est comme l’Histoire de France, on prend tout, et on l’assume. Il y a, pour Marine, dans ce contexte, deux solutions. Trancher dans le vif, et, même si cela est humainement fort douloureux, exclure son père du mouvement. Cela ferait sans doute plaisir à Philippot, mais cela la grandirait-elle ? Ou bien, comme elle a déjà su le faire, faire parler son cœur, son émotion, mais aussi son sens politique et son avenir de femme d’Etat voulant diriger la France, au plus vite.
Est-il vraiment impossible au FN de conserver Jean-Marie Le Pen comme président d’honneur, tout en faisant savoir, par un communiqué qu’il pourrait lui-même signer, que ses propos n’engagent que lui, et absolument pas le parti politique qu’il a créé ? Certes, la caste politico-médiatique hurlerait à la connivence, mais quoi que fasse Marine et son parti, on l’a encore vu le 1er mai, de toute façon, ils seront voués aux gémonies.
Certes, le président d’honneur du FN a fait son temps. Certes, il est ingérable. Certes, il ne prendra jamais la hauteur que certains réclament, c’est-à-dire, pour faire simple, de « la mettre dans le placard ». Mais peut-on traiter Jean-Marie Le Pen comme n’importe quel dissident ?
Laisser le Vieux président d’honneur, concocter un accord réciproque où ses propos n’engagent que lui, et pas le FN, n’est-ce pas le compromis intelligent et nécessaire pour permettre la continuation d’une histoire commune, familiale, patriote et inter-générationnelle, qu’incarne ce parti ?
N’est-ce pas la meilleure façon de préserver l’avenir, sans renier le passé, et de laisser faire le temps, comme disait François Mitterrand quand il ne voulait pas trancher un sujet délicat ?
Paul Le Poulpe